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Dossier santé

Des leçons à tirer des grandes pandémies

COVID-19
Plus importante pandémie des 100 dernières années, la COVID-19 a secoué la population. L’humanité ayant affronté ce type de crise plus d’une fois, pouvons‑nous encore en tirer des apprentissages ? Rencontre avec l’historien Laurent Turcot.

De quelles façons les pandémies ont-elles transformé le rôle des médecins dans l’histoire ? 

Divers éléments ont contribué à l’évolution du rôle des médecins à travers le temps. À partir du XIXe siècle, par exemple, la conscience de l’importance de l’hygiène, la connaissance médicale et la pasteurisation ont toutes été déterminantes pour la vocation. C’est au tournant du XXe siècle que la notion de santé publique est née, au même moment où il y a eu une prise en charge de l’État. Le rôle du médecin ne se limitait plus seulement à accueillir et à traiter les patients mais aussi, graduellement, à protéger l’ensemble de la communauté. La simple fonction de guérir s’est ainsi transformée en prophylaxie, soit de prévenir et d’empêcher l’apparition de maladies.  

C’est à ce moment que le médecin est devenu une forme de soldat de la santé publique, rôle qu’il joue encore aujourd’hui.

 

Est-ce à cette période que les médecins ont commencé à exercer une certaine influence auprès de l’État et des citoyens ?  

Le corps médical a toujours eu une influence auprès de la population, mais c’est effectivement à partir du XIXe siècle qu’il a commencé à jouer un rôle gouvernemental beaucoup plus grand.  

Auparavant, il y avait eu des comités mondiaux d’organisations en santé, mais jamais de l’importance de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), créée en 1948.

Y a-t-il des similitudes entre la COVID-19 et les autres pandémies ? 

Absolument. En étudiant deux des plus grandes pandémies de l’histoire, soit la grippe espagnole de 1918 à 1919, ainsi que la peste noire de 1347 à 1352, il est possible d’en dégager plusieurs similarités. Tout comme pour la COVID-19, ces deux épidémies mondiales ont fait des ravages dans toutes les populations.  

Les similitudes avec la grippe espagnole sont d’autant plus nombreuses, puisque le contexte était très semblable à celui connu aujourd’hui. Rappelons qu’en 1918, la Première Guerre mondiale se terminait et qu’il y avait un mouvement très important de la population autour du globe. De nos jours, la population étant beaucoup plus mobile, la propagation d’un virus comme le coronavirus se fait à très grande échelle et en un temps record. Heureusement, il est désormais possible de retracer les déplacements des citoyens, donc de relier les gens affectés au patient zéro, ce qui ne pouvait être fait il y a une centaine d’années.

Parmi les grandes différences, soulignons la capacité actuelle du système de santé de faire face à une crise sanitaire de cette magnitude. À l’époque, nous étions encore loin de posséder les ressources humaines, organisationnelles et matérielles nécessaires pour affronter de pareilles circonstances. Je pense notamment à des organismes de santé publique, un réseau hospitalier fort, un nombre suffisant de médecins et une structure efficace… Tous des éléments dont la société s’est dotée après la Seconde Guerre mondiale.

Quels apprentissages de la grippe espagnole appliquons-nous dans le contexte de la COVID-19 ? 

L’apprentissage le plus important fut certainement la quarantaine. Bien que celle-ci existe depuis le XIVe siècle, ce n’est qu’à partir du XXe siècle qu’elle a été appliquée aussi largement. Le gouvernement a rapidement pris conscience qu’il était nécessaire d’isoler les populations touchées pour limiter la propagation de la maladie, mais également de protéger la collectivité dans son entièreté. L’État a également saisi qu’il s’avérait plus ardu de contrôler les allées et venues des populations, puisque les gens écoutaient difficilement les consignes. Par exemple, les rassemblements étaient interdits et, pourtant, des milliers de personnes de partout dans le monde se sont rencontrées lors du Congrès eucharistique de Victoriaville en septembre 1918.  

Cet événement a mené à l’une des pires contaminations dans le secteur des Bois-Francs ; certaines municipalités ont perdu jusqu’à 8 % de leur population. 

Une des grandes leçons retenues de cette pandémie est donc celle d’écouter l’État et la santé publique. À l’époque, l’unique façon de contrôler la population était de l’impliquer dans la prévention en disant aux gens : « Aidez-nous à vous aider, restez à la maison. » Un message bien familier ! 

Est-ce que l’étude du passé peut nous permettre d’envisager l’après COVID-19 ? 

La situation actuelle aura assurément des répercussions majeures dans la société et telles les précédentes pandémies, nous vivrons un avant et un après COVID‑19. La grippe espagnole l’a notamment démontré d’un point de vue économique, alors qu’elle a été suivie d’une grande embellie, puis d’une désarticulation complète menant à la Crise économique de 1929. D’un point de vue épidémiologique, je laisserai les scientifiques se pencher sur la question.

Laurent Turcot est historien, professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire des loisirs et du divertissement. Il réalise les capsules de vulgarisation historique, en plus d’être collaborateur dans les médias.  

L'entrevue a été menée en mai 2020.