Projet de loi no 73 Loi modifiant diverses dispositions en matière de procréation assistée : commentaires de la FMSQ

Lettre transmise par courriel à Monsieur Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux
Monsieur le Ministre,
Je vous écris en marge du processus de consultation sur le projet de loi 73 qui réintroduira la couverture par l’assurance-maladie des services de procréation assistée. Certaines associations de la FMSQ directement concernées par ce projet de loi, soit la pédiatrie et la gynécologie, vont commenter les aspects plus techniques. En m’adressant directement à vous, je souhaite aborder une dimension plus sociale qui déborde du cadre de l’étude du projet de loi. En cela, mes propos ne visent pas tant des modifications au projet de loi, mais bien une modeste contribution à votre réflexion sur le contexte d’une éventuelle mise en œuvre de la législation, dans sa manière et son esprit.
Étant moi-même obstétricienne gynécologue, j’ai accompagné des milliers de femmes dans leur grossesse, pratiqué des milliers d’accouchements, et effectué des suivis de patientes parfois pendant des années… J’ai été témoin de toutes les situations possibles. Je suis encore émue de voir naître un enfant bien portant et aimé dès son premier souffle.
En faveur de la procréation assistée
Personnellement, j’ai toujours été favorable à la couverture des services de procréation assistée, et la Fédération des médecins spécialistes du Québec s’est aussi prononcée en faveur du principe de l’infertilité médicale. Toutefois, il ne s’agit pas d’un service de santé comme les autres. Il y a peu de soins qui ont autant d’implications sur la personne qui les reçoit et sur ses proches que la fécondation in vitro (FIV), il y a peu de soins qui sont aussi entremêlés dans les valeurs, les émotions et le vécu d’une personne que la procréation assistée.
En termes de charge émotive et philosophique, on atteint le niveau d’intensité de l’aide médicale à mourir. Aux deux extrémités de la vie, la médecine intervient pour changer le cours des choses dans le sens de la volonté des personnes. C’est une conception du progrès et de la science avec laquelle bon nombre de Québécois sont d’accord.
La santé des femmes d’abord
Cela dit, la Loi est toujours maladroite pour intervenir dans des domaines qui relèvent davantage de l'éthique que du juridique. Tout ce qui se rattache à l’enfantement ne peut être codé. Ce qui peut l’être, cependant, c’est l’affirmation du critère premier de la protection de la santé des femmes. Ce doit être l’ancrage rationnel du projet de loi 73. En posant le jalon de la protection de la santé des femmes, le législateur reste dans son droit. Il affirme une valeur forte de la société québécoise. Il oriente les discussions à venir entre les femmes, leurs conjoints ou conjointes, leurs proches et les médecins dans le sens de ces valeurs de la société, sans pour autant se poser en censeur moral.
Néanmoins, il faudrait un dialogue social sur des questions que la Loi élude. Est-ce qu’avoir un enfant est un droit? Est-ce que l’infertilité est une maladie? Doit-on faire une différence entre infertilité sociale et infertilité médicale? Est-ce à la collectivité de payer pour qu’une femme vivant seule puisse avoir un enfant? Est-ce acceptable d’inséminer ou de refuser une femme qui a besoin de soins à domicile pour s’occuper d’elle-même? Tôt ou tard, ces questions ressurgiront. Mais nous convenons pour le moment que les Québécois, leur gouvernement et le personnel soignant ont d’autres soucis en tête.
La protection des enfants
Je m’inquiète par ailleurs que l’on débatte de services de procréation assistée sans voir l’importance de documenter la suite. Quel est l’impact à long terme des tentatives de fécondation in vitro sur la santé génitale et globale des femmes? En réalité, nul ne le sait vraiment. Or, si l’État couvre un soin, il doit logiquement prendre les moyens appropriés pour s’assurer de son innocuité. L’adoption de la Loi devrait s’accompagner du lancement d’une étude sur l’impact à long terme de la FIV. Et dans cette foulée, on devrait s’intéresser aussi aux enfants issus de la procréation assistée, au contexte social dans lequel ils évolueront plus spécialement. On nous avait promis des registres sur les conséquences à long terme pour les mères, leurs familles et leurs enfants.
Le mirage de la fertilité éternelle
Le projet de loi est par ailleurs muet sur la dimension d’accompagnement, d’éducation et de sensibilisation. C’est un manque de sensibilité. La couverture de services de procréation assistée aura pour effet d’enflammer des espoirs chez des femmes, chez des couples qui vivent l’infertilité comme une douleur. La procréation assistée peut aider la nature, compenser des manques. Mais elle ne fait pas de magie.
Elle n’assure pas une fécondité éternelle. Il faut se préparer à doser les espoirs et à anticiper les déceptions. Il faut prévoir une information abondante et de qualité pour que les femmes saisissent tôt les limites du corps et de la science et faire leur choix de vie en conséquence. La majorité des femmes dans la vingtaine ou la trentaine ignore que les résultats de la procréation assistée sont meilleurs avec des ovules congelés avant l’âge de 35 ans. Celles qui se lancent dans ce long processus ignorent qu’après deux essais, le taux de réussite chute drastiquement, et vivent des deuils marquants. La gratuité de la FIV ne doit pas leurrer les femmes pour qui il est périlleux d’entamer des projets de conception. La FIV est un processus éprouvant, physiquement, psychologiquement. Toutes ces questions doivent être considérées au moment de la mise en œuvre de la Loi.
Plafond de verre, plafond de mère
Sous la considération de la santé des femmes comme principe cardinal de la Loi, je vois favorablement la notion d’âge limite amenée au texte, fixant à 42 ans le dernier transfert possible d’embryon. Toutefois, le progrès serait plus grand si on parlait « d’âge physiologique ». Cela permettrait d’affirmer le souci du législateur pour la prise en compte l’état de santé général de la femme. Une jeune trentenaire peut, à l’évidence, avoir un historique de santé augurant d’une grossesse plus risquée qu’une quadragénaire en bonne forme.
Nombre de femmes dans la trentaine et la quarantaine ont traversé mon bureau, un peu trop tard, en pensant que la science pourrait tout régler si un souci de fertilité devait se pointer. Aux jeunes femmes que je mentore, je leur suggère de fonder leur famille en sortant de bancs d’école; en médecine, ça veut dire à 32-35 ans. Ainsi elles pourront tout avoir, la carrière et la famille et éviter de vivre le deuil prolongé de l’infertilité.
Et si on veut vraiment donner une chance à l’ambition des femmes, dotons-nous de politiques sociales équitables où les pères pourront socialement aussi bénéficier d’un long congé de paternité. Ainsi, les employeurs ne favoriseront plus les hommes aux femmes en âge de procréer.
Facturer la croissance démographique
Il est accepté, au Québec, que les naissances permettent à notre démographie de croître et ainsi assurer notre prospérité. Il demeure plusieurs questions éthiques sur la question de coûts. Les couples qui ont payé pour enfanter l’an dernier seront-ils remboursés? Si les femmes congèlent leurs ovules, qui paye pour leur préservation hâtive? Pendant combien de temps? Que fait-on des embryons jamais fécondés? Il est dit qu’un centre de procréation assistée peut donner ou éliminer des gamètes ou des embryons après un délai de cinq ans. L’une et l’autre des éventualités doivent être précisées. Les réponses n’ont pas à être fournies maintenant, mais il faut prévoir le travail pour y répondre.
Accoucher en temps de pandémie
On ne saurait d’autre part détacher le projet de loi 73 du contexte actuel. Le ministre affirme publiquement s’attendre à un baby-boom. La pandémie passera avec l’appui de la vaccination, mais le contexte sera-t-il propice à la mise en œuvre d’un nouveau service? Les équipes médicales, décimées par l’épidémie, en auront plein les bras; le réseau devra s’attaquer à des listes d’attente gonflées par les dizaines de milliers d’opérations et rendez-vous reportés pendant la pandémie; trouverons-nous les effectifs pour offrir un service qui pourrait générer des milliers de naissances supplémentaires? Aujourd’hui, dans les salles d’accouchement de Montréal, il manque la moitié des infirmières…
Un dialogue social sur la maternité
En réinstaurant un programme de procréation assistée couvert par l’assurance-maladie, le gouvernement pose un geste généreux qui permettra à des femmes, à des couples de réaliser un de leurs vœux les plus chers. Les associations concernées de la FMSQ exprimeront un appui sous réserve de certaines considérations techniques. Pour ma part, je me suis permis cette communication plus personnelle à un ministre, lui-même médecin spécialiste, que je sais être un homme de cœur, parce que la lecture du seul projet de loi me laissait dans un certain trouble. Au-delà de la loi, il y a des rêves de femmes. Il y a l’espoir de la maternité. Il y a les larmes de celles qui affrontent les fausses couches et les aléas de l’infertilité. En guise d’accompagnement à ce mémoire, j’aimerais que le ministre annonce un dialogue social sur la maternité.
Adopter le projet de loi est la partie facile. C’est la suite qui demandera beaucoup de doigté et d’humanité. La discussion ne fait que commencer. Elle est fondamentale. Et elle ne doit pas être escamotée. Vous pourrez compter sur ma collaboration.
En espérant contribuer utilement à votre réflexion, je vous prie d’agréer, Monsieur Carmant, l’expression de ma plus grande considération; puissiez-vous par ailleurs passer un heureux temps des Fêtes, malgré les circonstances.
La présidente,
Diane Francoeur, M.D., FRCSC, MHCM