10 décembre 2020

Projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel Aide médicale à mourir : commentaires de la FMSQ

Par Dre Diane Francœur

Lettre transmise au gouvernement du Canada dans le cadre de l’étude du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir)

 

Madame, Monsieur,

La Fédération des médecins spécialistes du Québec remercie le gouvernement du Canada d’accueillir ses commentaires dans le cadre de l’étude du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).

Ce projet de loi a été déposé à la Chambre des communes le 24 février 2020 par le ministre de la Justice, et adopté en première lecture le jour même. Cette pièce législative est la réponse du gouvernement fédéral à la décision rendue par la Cour supérieure du Québec en septembre 2019 dans la cause Truchon c. Procureur général du Canada portant sur les dispositions du Code criminel relatives à l’aide médicale à mourir (AMM) et à la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec. Dans son jugement, la Cour a déclaré contraire à la Charte canadienne des droits et libertés la disposition du Code criminel établissant qu’une personne ne peut être admissible à l’AMM que si sa « mort naturelle est raisonnablement prévisible ».

Avec le projet de loi C-7, le gouvernement fédéral entend modifier le Code criminel de telle sorte :

  • Que l’accès à l’aide médicale à mourir ne soit plus seulement limité aux seules personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible;
  • Qu’une personne dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible puisse recevoir l’aide médicale à mourir même si au moment de son administration, elle n’a plus la capacité d’exprimer son consentement;
  • Qu’il soit stipulé que l’aide médicale à mourir ne peut être administrée à une personne souffrant de maladie mentale si la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée pour la demander.

La FMSQ et l'aide médicale à mourir

La FMSQ regroupe 59 spécialités médicales représentant plus de 10 000 médecins spécialistes de toutes les disciplines médicales, chirurgicales et de laboratoire. La position de ses membres sur l’aide médicale à mourir a évolué au fil des ans. À l’origine, pour beaucoup de médecins spécialistes formés jusqu’aux limites de la science pour prolonger la vie et vaincre la maladie, l’idée même d’administrer un « soin » causant la mort représentait un fossé philosophique infranchissable. Avec les années, cette position s’est nuancée. La FMSQ, comme organisation, s’est ralliée au consensus social selon lequel il est acceptable pour une personne de demander que sa mort soit devancée pour mettre fin à des souffrances intolérables et sans issue. La position de la FMSQ est aujourd’hui balisée par deux principes : le respect de la volonté des patients et le respect de la liberté de conscience des médecins.

Faits saillants d'un sondage Léger effectué en janvier 2020 auprès des membres de la FMSQ 

  • 60 % des membres de la FMSQ estiment que la Loi doit être modifiée (la proportion est de 65 % chez les médecins qui ont une expérience de l’AMM)
  • 64 % estiment que l’accessibilité à l’AMM doit être facilitée (23 % des médecins qui ont une expérience de l’AMM croient que l’accessibilité doit rester inchangée)
  • 5 % des membres de la FMSQ ont administré l’aide médicale à mourir (la question s’adressait aux médecins dont la Loi touche leur spécialité, ce qui n’est pas le cas, par exemple, des spécialités de laboratoire)
  • 83 % des membres de la FMSQ croient qu’une personne apte, qui a demandé l’AMM, conserve son droit même si elle devient inapte à consentir au moment de son administration
  • 79 % des membres de la FMSQ croient que l’égalité des droits de la personne qui vit avec une déficience intellectuelle ou un trouble de santé mentale doit être respectée

La FMSQ et le projet de loi C-7 

La FMSQ accueille positivement le projet de loi C-7, n’hésitant pas à dire qu’il était temps. Cela fait plusieurs mois que le gouvernement fédéral demande des extensions de délai. Prolonger encore la réflexion aurait frôlé le manque d’égards envers la Cour et envers la mémoire des poursuivants dans la cause Truchon c. Procureur général du Canada.

Le projet de loi C-7 répond à l’inconstitutionnalité du critère de la « mort naturelle raisonnablement prévisible » et fait écho à la volonté de la population favorable, selon différents sondages d’opinion, à un élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir.

La FMSQ exprime toutefois des préoccupations :

  • Quant au respect de la volonté de la personne en regard des nouveaux critères énoncés ;
  • Quant à l’exclusion des personnes atteintes de troubles de santé mentale ;
  • Quant aux situations ambiguës dans lesquelles pourraient se retrouver des médecins ;
  • Et quant à certains termes nécessitant des précisions.

1 | Le respect de la volonté des patients

La discussion délicate sur l’aide médicale à mourir trouve sa source dans une conjonction de phénomènes qui ont influencé l’évolution de la société : vieillissement de la population, baisse de la pratique religieuse, augmentation de l’incidence de maladies chroniques, avancement de la science médicale… Dans l’enchevêtrement de ces causes, des citoyens au crépuscule de leur vie ou dans une situation sans issue en sont venus à réclamer en toute liberté et conscience que leurs souffrances soient abrégées.

Il y a quelques années, une ouverture prudente à l’aide médicale à mourir a été apportée à la législation. La société, la communauté médicale, le législateur se sont familiarisés avec ces soins de fin de vie. Bien que l’apprivoisement se soit fait sans heurts, la contestation de la Loi, parce que trop restrictive, était néanmoins prévisible. Ces recours contribuent à déterminer le point de rencontre entre la Loi et les valeurs de la société canadienne. Cette évolution s’accomplit avec pour objectifs principaux le respect de la volonté des malades et la protection de ces personnes en situation de grande vulnérabilité contre toute forme de pression externe.

Le critère de la « mort naturelle raisonnablement prévisible » comme condition d’admissibilité à l’aide médicale à mourir a ainsi été invalidé et jugé contrevenant à la Charte canadienne des droits et libertés, parce que constituant un obstacle au respect de la volonté de la personne.

Le projet de loi C-7 élimine donc cette clause comme critère premier d’admissibilité (Art 241.2). La notion de « mort naturelle raisonnablement prévisible » demeure néanmoins dans le texte de la Loi et apparaît sous l’intertitre Mesures de sauvegarde.

Ainsi, lorsque la « mort naturelle est raisonnablement prévisible » les mesures de sauvegarde sont modifiées avec, désormais, l’exigence de la présence d’un seul témoin, plutôt que de deux au moment de la signature, et l’élimination du délai de 10 jours entre la demande et l’administration de l’AMM. La FMSQ est d’accord avec ces modifications.

Toutefois, lorsque « la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible », la Loi ajoute plusieurs nouveaux critères tels des avis écrits confirmant le respect des conditions d’admissibilité par deux médecins, dont un possédant une expertise en lien avec la condition à l’origine des souffrances de la personne. Il est en outre spécifié que : « au moins 90 jours doivent s’être écoulés entre le jour où commence la première évaluation des critères d’admissibilité et celui où l’AMM est fournie. » 

Bien que ce délai puisse être raccourci dans certaines circonstances, la FMSQ estime qu’un si long délai, 90 jours, vient heurter l’idée fondamentale du respect de la volonté de la personne. Lorsqu’une personne, en toute liberté, en toute conscience, et en toute connaissance de cause, prend la décision de demander l’aide médicale à mourir, lui imposer un minimum de trois mois de souffrances supplémentaires s’apparente à un discrédit de sa démarche, voire à une négation de sa douleur. Un tel critère semble contraire à l’humanisme qui devrait imprégner la Loi.

Au surplus, la possibilité de renoncer au consentement final n’est pas rendue possible par le projet de loi pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. Nous croyons d’ailleurs que cette possibilité de renonciation au consentement final devrait être possible pour toute personne qui satisfait les critères d’admissibilité, peu importe que la mort soit prévisible ou non.

2 | Des situation ambiguës pour les médecins

La FMSQ réagit avec malaise devant le passage disant que ce délai de 90 jours pourrait être plus court si « la perte de la capacité de la personne à consentir à recevoir l’aide médicale à mourir est imminente ».

Ainsi, on devrait se dépêcher d’agir si le malade est en perte de capacité. Ici, le projet de loi évoque avec une imprécision troublante la situation des personnes souffrant de démence ou autres atteintes cognitives. Cette disposition institue un flou susceptible de créer des désaccords entre les proches d’une personne vulnérable et de placer le médecin dans la situation de devoir trancher une discussion émotive. Ce risque met en évidence l’inadaptabilité, en certaines circonstances, des outils disponibles pour assurer le respect de la volonté de la personne.

La FMSQ est très préoccupée par ces situations potentiellement déchirantes, et a entamé des travaux visant à les éviter. Bien que les solutions à l’étude ne relèvent pas du Code criminel, la FMSQ estime qu’elles sont pertinentes à la réflexion du législateur et à sa compréhension du contexte. Ainsi, la FMSQ effectue des représentations auprès du gouvernement du Québec afin, d’abord, que l’aide médicale à mourir puisse être inscrite dans les directives médicales anticipées, et que ces directives puissent être incluses au dossier informatisé du patient.

L’accès immédiat à une information officielle sur les volontés du patient réduirait le risque que surviennent des situations embarrassantes pour les proches et les médecins. L’inclusion de l’AMM aux directives médicales anticipées permettrait également aux citoyens d’exprimer à l’avance leur volonté dans l’éventualité où une perte de facultés due à la démence, la maladie d’Alzheimer ou autres troubles cognitifs les rendrait inaptes à décider de leur sort. Dans ses amendements au Code criminel, le gouvernement fédéral pourrait évoquer la nécessité d’outils de gestion des informations adaptés à l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir afin de mieux outiller et encadrer les professionnels de la santé.

3 | Exclusion des personnes souffrant de maladie mentale

Le projet de loi C-7 établit sans détour que « la maladie mentale n’est pas considérée comme une maladie, une affectation ou un handicap » (Art. 241,2), rendant admissibles à l’AMM les personnes qui en sont affectées lorsqu’il s’agit de la seule condition médicale invoquée.

La FMSQ comprend l’intention du législateur qui veut protéger les personnes vulnérables. La maladie mentale pouvant avoir pour conséquence de rendre une personne inapte à décider par elle-même de la conduite de maints aspects de sa vie, il est raisonnable de ne pas rendre admissible à l’aide médicale à mourir une personne qui en souffre.

Il s’agit toutefois d’une position de repli très imparfaite. Pour éviter qu’une personne vulnérable obtienne l’aide médicale à mourir, le législateur statue que les personnes souffrant de maladie mentale sont toutes et en tout temps inaptes à décider par elles-mêmes.

L’exclusion des personnes atteintes de maladies mentales de l’aide médicale à mourir introduite par le projet de loi C-7 est compréhensible, mais maladroite, inéquitable et non conforme à la réalité complexe de la maladie mentale. Toutefois, à l’heure actuelle, la FMSQ n’a pas de libellé alternatif à proposer et invite le gouvernement fédéral à poursuivre les discussions et les consultations sur cet aspect précis.

Le sondage mené auprès des membres de la FMSQ indique qu’une forte majorité d’entre eux (79 %) estiment que l’égalité des personnes atteintes de maladies mentales doit être respectée. Cette statistique révèle l’importance de poursuivre la discussion, tout comme l’importance de solliciter l’implication des organisations représentant les professionnels de la santé impliqués dans la dispensation de l’aide médicale à mourir et les soins de santé mentale afin d’élaborer des pistes de solution qui seront respectueuses de la réalité des personnes affectées d’une maladie mentale.

4 | « Évaluation préliminaire » et peine

Enfin, le projet de loi C-7 évoque pour la première fois la notion « d’évaluation préliminaire » (Art. 241,31). Cependant, aucune définition ne vient en préciser la nature et le contenu. C’est un manque, d’autant plus important à corriger que « le médecin ou l’infirmière qui omet sciemment de se conformer […] commet une infraction et est coupable : a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de deux ans ; b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. » La FMSQ prie le gouvernement du Canada d’apporter les précisions qui s’imposent.

Le projet de loi C-7 représente une avancée en matière de justice et rapproche le Code criminel du consensus de la société canadienne en regard de la question sensible de l’aide médicale à mourir, tout en exprimant le souci de protéger les personnes vulnérables.

Certains correctifs doivent cependant être apportés pour assurer le respect des volontés de la personne et préciser certains termes, tandis que la question particulière de l’exclusion des personnes souffrant de maladie mentale appelle à des discussions supplémentaires.

La FMSQ réitère ses remerciements au gouvernement pour la prise en compte de ces commentaires. Soyez assurés que toute demande d’information complémentaire ou précision sera traitée avec diligence.

Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, mes respectueuses salutations.

La présidente,

Diane Francoeur, M.D., FRCSC, MHCM