4 avril 2020

Maman, il faut qu'on se parle

Par le Dr François Evoy, président de l'Association des neurologues du Québec (ANQ)

Ma mère a 80 ans et elle est dans une forme resplendissante. Depuis la mort de mon père, elle vit seule en appartement. Comme tous les québécois et la moitié des habitants de la planète, elle est donc en confinement. Pour s’assurer de son bien-être et tuer la solitude, les membres de la famille l’appellent à tour de rôle.

Oser aborder le sujet

Mais aujourd’hui j’ai décidé de la contacter pour discuter d’un sujet délicat : son niveau de soins en cas de maladie. Évidemment, il s’agit d’une question sensible en cette période tumultueuse. Il y a, certes, cette crainte d’aggraver l’anxiété liée à la situation, mais aussi de provoquer le malheur en évoquant sa possibilité. L’être humain est ainsi fait.

J’ai abordé le sujet calmement, sans détour, en insistant sur la situation hypothétique où une réanimation cardiaque et une intubation avec ventilation artificielle seraient nécessaires. Ma mère était heureuse de me confier que ses volontés étaient consignées dans son testament biologique notarié. Elle m’a dicté l’attitude que nous, ses enfants, devrions adopter advenant qu’elle soit gravement malade et incapable de verbaliser ses désirs. Sa réponse demeure confidentielle. Mais je saurai quoi dire aux médecins en cas d’urgence et cela dans le plus grand respect de « ses » volontés.

Chaque aîné est concerné

Quant à ma belle-mère, dont l’esprit est émoussé par une maladie d’Alzheimer avancée, la question est différente puisqu’elle est maintenant inapte à consentir. Vivant en résidence pour personnes non autonomes, il est primordial que les consignes soient claires en cas de maladie soudaine. Surtout en cette période extrêmement difficile où tout contact avec la famille est proscrit. Ce fut l’occasion de convoquer un conseil familial afin de discuter de sa situation, de prendre calmement des décisions en cas de maladie, et de s’assurer que l’intensité de soins inscrite à son dossier soit respectueuse de sa personne.

Pour avoir œuvré en milieu hospitalier toute ma vie, je sais qu’en l’absence de consignes claires, des actions inappropriées peuvent être entreprises. Les actes héroïques du massage cardiaque ou de l’intubation urgente peuvent devenir profanation. D’où l’importance de clarifier les questions d’intensité de soins en amont.

Avez-vous eu cette discussion avec vos proches? Avez-vous songé à ces questions pour vous-mêmes? Si votre réponse est non, alors il est temps d’agir, car décider pour soi a un impact sur tous. Et pas seulement en période de pandémie.

Au Québec, quatre niveaux de soins sont proposés pour baliser les décisions médicales :

  1. Prolonger la vie par tous les moyens nécessaires
  2. Prolonger la vie par des soins limités
  3. Assurer le confort prioritairement à prolonger la vie
  4. Assurer le confort sans viser à prolonger la vie

Par expérience, il vaut mieux aborder ces sujets à tête reposée que dans le chaos de l’urgence, l’émotion n’étant pas toujours bonne conseillère. Pour ma part, je crois sincèrement avoir tardé à aborder cette discussion avec ma mère. Mais, comme elle me l’a toujours dit : « il n’est jamais trop tard pour bien faire mon garçon ». Une autre grande leçon qu’elle m’aura apprise.

 

Montréal, le 4 avril 2020

Dr François Evoy

Président de l'Association des neurologues du Québec (ANQ)

Article paru dans La Presse « On veut éviter l'acharnement »